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Fédération d'Indre et Loire de la Libre Pensée

Après «l’occupation» de la maison de la Libre Pensée à Limoges : retour sur le séquestre du journal socialiste República en 1975 au Portugal

21 Septembre 2021, 10:29am

Publié par Fédération de la Libre Pensée d'Indre et Loire

Après «l’occupation» de la maison de la Libre Pensée à Limoges : retour sur le séquestre du journal socialiste República en 1975 au Portugal

La Fédération nationale de la Libre Pensée a informé, le 8 septembre 2021, l’ensemble du mouvement démocratique, laïque, syndical, ouvrier et des Obédiences maçonniques de faits très graves et inadmissibles qui viennent de se passer à Limoges (Haute-Vienne).

En 1997, l’association a hérité d’une maison, sise rue Champlain, avec une clause interdisant de la vendre avant 30 ans, héritage d’un libre penseur. Dans l’attente de la vente, il a été décidé d’utiliser au mieux cette maison dans le cadre de la solidarité. C’est ainsi qu’y ont été hébergés des associations comme le Mouvement de la Paix, Ateneo Republicano du Limousin, le Planning familial pour qu’elles mènent des actions de solidarité.

La Libre Pensée et son association de solidarité ont reçu le 5 septembre 2021, une lettre d’une association « Collectif Chabatz d’entrar» qui indique «avoir reçu une clé» et qui s’est donc mise à squatter avec des migrants le dit immeuble, proposant benoîtement de le transformer en «foyer populaire» avec hébergement et soupe populaire pour migrants et tout venant.

Ces faits sont le produit d‘une base vengeance politicarde d’une secte politique qui n’a rien d’ouvrier, d’indépendant et de démocratique. Ils sont le fruit des agissements d’un petit apparatchik fourbe, truqueur et lâche de surcroît.

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Toutes conditions restant égales, cette mise sous séquestre «militante» ressemble à s’y méprendre – avec les mêmes méthodes, les mêmes buts, et les mêmes Torquemada… – à des faits historiques connus remontant au printemps 1975 au Portugal : l’affaire du journal República.

On aurait tort de penser qu’il s’agit là d’anecdotes ou d’histoires anciennes puisque une publication reconnue d’histoire sociale – les Cahiers de l’IHS de la CGT – y a encore consacré son numéro de mars 2019, soit 44 ans après les faits…

De quoi s’agit-il ?

Dans la nuit du 24 au 25 avril 1974, des régiments se soulèvent et prennent position dans Lisbonne. S’engouffrant dans les brèches ouvertes par ce coup d’État d’une fraction de l’armée, des centaines de milliers d’ouvriers et de paysans descendent dans les rues : la révolution éclate au Portugal. Le régime de Salazar, et de son successeur Caetano, une dictature corporatiste et cléricale de près de 50 ans s’effondre. Toutes les institutions salazaristes sont disloquées ou démantelées.

Manifestation du 1er mai 1974 à Lisbonne

Le 1er mai 1974, un million défilent dans les rues de Lisbonne aux cris de «Liberdade !», exigeant que le pouvoir soit remis dans les mains des organisations ouvrières et populaires. La fin de la dictature, c’est «l’assainissement» de tous les organes du salazarisme, de haut en bas.

La liberté, c’est reconquérir toutes les libertés : d’expression, d’association, de grève, de conscience…

Le 25 avril 1975, les élections législatives se tiennent afin d’élire les 250 députés de l’Assemblée Constituante pour un mandat d’un an. Le peuple portugais confie une majorité nette à la Constituante aux partis ouvriers : au PS (37,87%) et au PCP et à ses alliés du MDP (16,60%).

Une incontestable bataille s’engage entre la démocratie politique concentrée dans les pouvoirs de l’Assemblée Constituante élue et une «dictature militaire peinte en rouge» pour reprendre les termes du journaliste américain Gerry Foley dans l’hebdomadaire Intercontinental Press.

Le débat sur la loi d’unicité syndicale, au nom de «l’unité des travailleurs», la mise sous séquestre du journal República qui exprime les vues du PS, sous prétexte de «contrôle ouvrier» sont le point de départ d’une campagne – savamment orchestrée – de remise en cause des libertés politiques et syndicales, de la liberté de la presse et d’association.

República est un symbole au Portugal, le seul journal d’opposition persécuté sous la dictature de Salazar-Caetano, titre fondé en 1911 par Antonio José de Almeida, républicain laïque et Franc-maçon, Président de la République de 1919 à 1923.

Le 19 mai 1975, des typographes en investissent les locaux, expulsent la rédaction et le Mouvement des Forces Armées (MFA) ferme le journal.

On pourrait croire alors à une riposte de front unique des organisations se réclamant de la démocratie et de la liberté d’expression et, a fortiori, du socialisme et du mouvement ouvrier.

Il n’en sera rien !

Dès le 23 mai, en France, la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), par la plume de son dirigeant Daniel Bensaïd, en donne le «compte-rendu» suivant :

«Le journal dirigé par l’ancien ministre de l’information, Raoul Rego, est connu pour ses affinités avec le Parti socialiste et pour la façon dont il rend très partiellement et particulièrement compte des luttes ouvrières. Les travailleurs de l’imprimerie avaient donc décidé d’occuper les locaux, de séquestrer le directeur et d’en exiger le remplacement. Il a fallu une nuit de siège pour les militants socialistes appelés à la rescousse à grand renfort de slogans anti-communistes et l’intervention militaire pour faire évacuer les locaux.» (Rouge, n°301, 23 mai 1975)

Pas un mot sur la mise sous séquestre militaire du journal. En un mot, les militants PS sont responsables de l’intervention militaire et donc de la suspension de leur propre journal !

Le 27 mai, de retour du Portugal, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, affirme : «República n’est pas l’organe du parti socialiste, mais un journal réputé indépendant qui a consenti, au cours de ces derniers mois, à véhiculer les déclarations et positions du Parti socialiste.

« República est ainsi rapidement devenu au Portugal le quotidien spécialisé dans l’anticommunisme et dans le dénigrement, voire la calomnie du M.F.A. « Or il faut bien comprendre que dans les conditions actuelles du Portugal, tout ce qui tend à dénigrer ou à calomnier le M.F.A. est aussitôt suspect de malveillance ou d’hostilité envers les libérateurs, à l’encontre des soldats et des officiers qui ont eu le courage d’abattre le fascisme et le colonialisme.» Il conclut : «On ne peut qu’être indigné par l’énorme exploitation qui a été faite, en France, de l’affaire República, alors qu’il ne s’agit que d’un conflit classique du travail « 

Cet argument… ne convainc ni les dirigeants du PC Italien qui dénoncent «cette intolérance politique» ni le secrétaire général du PC Espagnol, Santiago Carrillo, qui regrette l’interdiction de República et «souhaite sa reparution rapide»…

Ce qui n’empêchera en rien D. Bensaïd, dirigeant LCR, de surenchérir dans Rouge : «D’abord, República n’est pas le journal officiel du Parti socialiste, il n’appartient pas à la presse militante du mouvement ouvrier. C’est un journal privé d’opinion, aujourd’hui largement influencé par le Parti socialiste, c’est tout.» (Rouge, n°302, 30 mai 1975)

Pourtant, le 28 mai, l’hebdomadaire Informations Ouvrières, tribune libre de la lutte des classes, a publié la déclaration des militants du Comité de liaison des militants révolutionnaires portugais qui rappelle ces fondamentaux :

«Si l’on veut la démocratie et la révolution socialiste : il faut garantir la liberté d’opinion, la liberté de la presse pour tous les partis ouvriers, il faut garantir toutes les libertés.
República doit reparaitre immédiatement et sans restriction. (…)
Il faut refuser que le syndicat devienne un rouage gouvernemental.
Il faut bannir la violence entre les militants des partis et organisations ouvrières.
Il faut un gouvernement du PS et du PCP sans ministres bourgeois !
Il faut tout de suite un gouvernement Soares.
Voilà le chemin de la démocratie et de la révolution socialiste.»
(Informations Ouvrières, n°706, 28 mai 1975)

Dans l’Unité, hebdomadaire du PS, François Mitterrand écrit quant à lui :

«À Lisbonne paraissait jusqu’à ces derniers jours un journal qui portait le beau nom de República Ce journal était socialiste. Il avait résisté pendant quarante ans aux coups des dictateurs : censure, interdictions, et de temps à autre prison pour ses rédacteurs. La liberté au Portugal s’écrivait en quatre syllabes. Mais República n’existe plus. Son directeur, Raul Rego, locataire habituel des geôles de Salazar, a été séquestré dans son propre bureau et les presses occupées par un commando d’ouvriers que les socialistes portugais soupçonnent d’avoir été mobilisé par les soins du Parti communiste. Roi Salomon à l’œil borgne, le M.F.A. a rendu sa sentence en mettant les scellés. Adieu presse libre !» (L’Unité, n°160, 30 mai 1975)

Une campagne internationale de prises de position de militants de toutes tendances, de démocrates, d’associations des droits de l’homme, de sections syndicales de toutes les Confédérations et Fédérations ouvrières, de la CGT de la CGT-FO, de la FEN, du SNI… est lancée.

Le «Jornal do caso República», édité après le séquestre par les journalistes lisboètes en lutte pour la liberté d’expression, et leur directeur Raul Rego, en publiera les listes dans son n°3 du 3 juin.

Le bureau politique de la LCR (où siègent entre autres Alain Krivine, Gérard Filoche…) assènera encore :

«Ce n’est pas le Parti communiste qui a occupé les locaux du journal, mais la commission de travailleurs élue par service et qui rassemble tous les courants politiques présents dans l’entreprise. Ces précisions permettent d’aborder le problème sur le fond. Qu’est-ce que la liberté de la presse défendue avec tant de zèle par tous les commentateurs bourgeois de par le monde ? Sous le capitalisme, la liberté de la presse ne signifie pas la liberté d’expression, mais la liberté pour tous ceux qui possèdent les moyens d’information de fabriquer l’opinion selon leur convenance.» (Rouge, n°303, 6 juin 1975)

Contre la liberté de la presse, les tâches sont donc réparties : «conflit du travail» pour les dirigeants du PCF, «contrôle ouvrier sur la production» pour leurs organisations flanc gardes, il reste encore le créneau de la condescendance jésuitique…

Ainsi, Le Monde qui, sans détours, distillera :

«Le retard culturel d’un pays, un long passé de dictature et d’obscurantisme, rendent difficile l’application immédiate et sans nuance d’une liberté d’expression qui a souvent tendance à s’exercer au profit des nostalgies du passé encore installées dans l' »appareil ». (…) La vraie question n’est-elle pas alors de savoir si, en permettant à tous d’user de la liberté d’expression, on ne permet pas en fait à quelques-uns d’en abuser ?» (Le Monde, 21 juin 1975)

Le 19 juillet 1975 a lieu à Lisbonne le meeting monstre du PS à la Fontaine Lumineuse. Plus de 100.000 travailleurs, militants et jeunes scandent : «Parti Socialiste, parti marxiste» «Constituante souveraine maintenant !» Et sur la grande banderole : «Il faut respecter la volonté populaire.» Au Portugal comme en France, la prétendue «extrême-gauche» enrage et Rouge lâche : «C’est une nouvelle phase de la révolution portugaise qui s’ouvre aujourd’hui. En lançant une offensive contre le MFA et le PCP mais au-delà d’eux, en réalité, contre la menace puissante du pouvoir des travailleurs qui s’affirme dans les entreprises, les casernes et les quartiers populaires, le Parti Socialiste se fait le principal support de la réaction qui relève la tête.» (Rouge, n°310, 25 juillet 1975)

Fermez le ban.

Il restera à nos apprentis dictateurs et autres «guérilleros du Quartier latin» à reprendre les «vieilles lunes» de tous les totalitarismes contre la démocratie et la pensée libre : «L’opportunisme forcené de l’OCI ne suffit pas à expliquer cet irrésistible béguin pour la social-démocratie. Entre l’alliance avec les vieilles fractions molletistes de la SFIO, la prédilection pour le syndicat FO, et les amitiés particulières avec Soarès il y a un autre trait d’union : la Franc-maçonnerie.» (Rouge, n°304, 13 juin 1975).

L’affaire de Limoges, 46 ans après et à l’échelle qui est la sienne, démontre si besoin en était que les fantasmes à peu de frais des «camarades» et autres «révolutionnaires» conduisent toujours à la réaction la plus noire.

«Peinte en rouge», cela va de soi !

le 20 septembre 2021

 

Philippe Besson,
Membre du Conseil d ‘Administration d’Entraide et Solidarité des Libre Penseurs de France
Christian Eyschen
Membre de la Commission Administrative de la Fédération nationale de la Libre Pensée