Le Projet de Contrat d’engagement Républicain : L’idéologie d’État En Marche
Pour nous suivre
fb-share-icon

Récemment soumise à la hussarde pour avis au Haut conseil de la vie associative (HCVA) et bientôt transmise pour examen au Conseil d’État en vue probablement d’une publication au plus tard le 31 décembre 2021, la version définitive du projet de décret portant application du nouvel article 10-1 de la loi du 12 avril 2000, issu de celle du 24 août 2021 confortant le respect des lois de la République et prévoyant d’imposer un Contrat d’engagement républicain (CER) aux associations subventionnées, suscite de sérieuses inquiétudes : sa large opposabilité, l’inversion du principe de laïcité qu’elle introduit et le climat sécuritaire qu’elle instaure sont inacceptables.

Une violation de la hiérarchie des normes en République

Chose extraordinaire en République et normale sous la Ve République, la loi « Séparatisme » prévoyait qu’il y aurait trois engagements inscrits dans le Contrat d’Engagement républicain. Le décret en impose huit. Si demain, il y a une circulaire d’application, va-t-elle en prévoir douze ? Sous la Ve République, l’Exécutif (Décret) peut donc profondément modifier le Législatif (Loi) qui pourtant lui est censé être supérieur. C’est la démonstration la plus claire du caractère totalitaire de la Vème République, amplifié par le pouvoir macroniste.

La Libre Pensée rappelle sa Déclaration du 13 octobre 2021 : Le choix est de plus en plus clair :

Ou la mise en place d’un régime de plus en plus autoritaire. Jusqu’où et jusqu’à quand ?

Ou la parole revient au peuple, c’est-à-dire aux citoyennes et aux citoyens, par la mise en œuvre de l’élection d‘une Constituante libre et souveraine, par un coup majeur porté aux institutions de la Ve République.

« Le large filet dérivant » du pseudo contrat d’engagement républicain

Le I de l’article 5 du projet de décret prévoit que « L’association ou la fondation veille à ce que le contrat mentionné à l’article 1er soit respecté par ses dirigeants, par ses salariés, par ses membres et par ses bénévoles. Sont imputables à l’association ou la fondation les manquements commis par ses dirigeants ainsi que ceux commis par ses salariés, ses membres ou ses bénévoles agissant en cette qualité […] » En quelque sorte, l’association subventionnée serait chargée d’imposer les termes du CER non seulement aux individus, voire autres associations, ayant conclu le contrat qui la fonde (dirigeants et membres), mais aux personnes qui ne l’ont pas nécessairement souscrit : les salariés et les bénévoles. Ainsi, un citoyen venant prêter assistance de façon habituelle, mais sans en être membre à un groupement philanthropique demandant chaque année une aide publique devrait respecter scrupuleusement les huit engagements du CER, quelles que puissent être par ailleurs ses convictions, à défaut de quoi la subvention serait refusée à cette association.

L’inversion du principe de laïcité, l’immixtion de la puissance publique dans la vie des associations et la généralisation de la responsabilité collective

Le premier des huit engagements exigerait de l’association bénéficiaire de la subvention de « […] ne pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant ses relations avec les collectivités publiques. » C’est l’inversion du principe même de la laïcité : celle-ci impose une rigoureuse neutralité aux collectivités publiques, pas à la société civile où se déploient les libertés de conscience et d’opinion. La perspective est inversée par le Gouvernement qui rêve de contrôler les associations à la manière de Napoléon Ier.

Le quatrième engagement imposerait aux associations et fondations l’obligation, d’une part, de respecter l’égalité devant la loi – ce qui n’a pas une grande portée -, d’autre part, « […] dans son fonctionnement interne comme dans ses rapports avec les tiers, [de] ne pas opérer de différences de traitement fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée […] » Cette formulation appelle deux remarques au moins. En premier lieu, l’État ou les autres collectivités publiques sont-ils légitimes à s’immiscer dans le fonctionnement interne des associations ou des fondations pour en vérifier la conformité avec le CER ? Assurément non. En second lieu, les infractions commises à ces différents titres par des individus à l’égard d’autres personnes dans le cadre de l’association peuvent donner lieu à l’engagement de l’action publique par le Parquet ou sur plainte d’une victime présumée. La mise en cause d’une responsabilité collective sur le fondement d’une responsabilité individuelle paraît bien un vice permanent des raisonnements tenus par le pouvoir exécutif.

Du critère inopérant de la dignité humaine à la paralysie devant l’éventualité d’un trouble grave à l’ordre public

Le sixième engagement du projet de CER prévoit que « L’association ou la fondation s’engage à n’entreprendre, ne soutenir, ni cautionner aucune action de nature à porter atteinte à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. » Or, le concept de « dignité de la personne humaine » est juridiquement inopérant, sauf à interdire toute prise de position sur ce sujet et, par suite, à museler la liberté fondamentale d’expression, ou, au contraire, à conduire la puissance publique à en privilégier une au détriment des autres. Comment, par exemple, répondre à deux demandes de subventions présentées par des associations conduisant une mission d’intérêt général, l’une invoquant la dignité humaine entendue comme incompatible avec une action médicale conduisant à la mort, l’autre, au contraire, comprise comme assurée par la possibilité offerte à chacun de recourir à une aide médicale à mourir ?

Le septième impose aux associations subventionnées non seulement « Le respect des lois de la République […] » – ce qui va de soi – mais de n’entreprendre ou de ne soutenir aucune action « […] susceptible d’entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques. » Au fond, le Gouvernement envisage d’exiger des associations et fondations une sorte d’autocensure avant d’agir : « L’action que nous envisageons est-elle de nature à troubler éventuellement l’ordre public ? Pour ne pas perdre notre subvention, nous préférons nous abstenir » diront-elles. Cette disposition du CER va sans aucun doute freiner l’audace et l’inventivité des groupements à but non lucratif. Au surplus, qui sera fondé à estimer qu’une action est « susceptible d’entraîner des troubles graves à la tranquillité et la sécurité publique » ?

En guise de bouquet final

Le huitième engagement contraindrait les associations subventionnées «  […] à ne pas outrager les symboles de la République : – l’emblème national, qu’est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge ; – l’hymne national, qu’est La Marseillaise ; – la devise de la République, qu’est « Liberté, Egalité, Fraternité ». » L’annexe au décret reprend ainsi les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui ont trait à la souveraineté de la République française.

Comme disait Coluche dans Tchao Pantin : « C’est le tricolore jusqu’au fond du slip ». Pour la Libre Pensée, nos drapeaux sont rouge, noir, noir et rouge. Et notre chant est l’Internationale. Nous refuserons toujours de marcher au pas cadencé. C’est pourquoi, la Libre Pensée avec d’autres associations exigent l’abrogation du Service National Universel, qui n’est que l’embrigadement militarisé et cocardier de la jeunesse sous les plis tricolores.

Or, il est pour le moins incongru d’imposer à des personnes morales de droit privé des symboles de souveraineté opposables aux pouvoirs publics (Président de la République, Gouvernement, Parlement, Conseil économique, social et environnemental notamment), au Conseil constitutionnel, au Conseil d’État, à la Cour des comptes, à l’autorité judiciaire et aux collectivités territoriales.

L’outrage aux symboles de la République réside en réalité dans l’atteinte aux libertés et droits fondamentaux des citoyens que constitue la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ainsi que le CER, ces libertés et droits fondamentaux que garantissent normalement la Constitution, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, le préambule de 1946 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, notamment celui de la liberté d’association.

En 1924, au sortir de la Grande Guerre le pacifiste Jean Zay publie un poème intitulé Le Drapeau qu’il outrage sans aucun doute : « Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te hais férocement, Oui, je te hais dans l’âme, je te hais pour toutes les misères que tu représentes » parce que « Quinze cent mille hommes [sont] morts pour cette saloperie tricolore… » Du 4 juin 1936 au 2 septembre 1939, le radical et Franc-maçon Jean Zay occupe avec un brio inégalé le fauteuil de ministre de l’Education nationale et des Beaux Arts. En 1944, il est assassiné par la Milice de Joseph Darnand. Fallait-il interdire de subvention les associations auxquelles il a appartenu ?

C’est pourquoi la Fédération nationale de la Libre Pensée exige :

L’ABROGATION DE LA LOI DU 24 AOÛT 2021 !
LE RETRAIT DU PROJET DE DÉCRET INSTITUANT UN CONTRAT D’ENGAGEMENT RÉPUBLICAIN !

TELECHARGEZ AU FORMAT PDF

Paris, le 17 décembre 2021